Une histoire du Yoga 3 – Patanjali Yoga-Sûtra

Patanjali aurait écrit les Yoga Sûtra entre le 3ème siècle avant et le 4ème après JC. Ils sont donc contemporains de la naissance de l’ère chrétienne.
Il n’a pas inventé le Yoga, qui existait déjà, mais il en a fait la première « synthèse magistrale en regroupant toutes les approches du yoga qui fleurissaient à l’époque ».
La représentation de Patanjali est un être mi-homme mi-serpent.
Il est « le meilleur des ermites qui élimina le mal du corps par le yoga » d’après Iyengar.
Il est un être mythique rassemblant tous les attributs du yogin mais l’on pense que ce texte a été révélé à plusieurs maîtres qui le transmirent à leurs élèves.

La racine du nom Patanjali est le verbe -PAT qui signifie « descendre, arriver sur Terre », à laquelle vient se greffer ANJALI qui exprime le geste (mûdra) du remerciement ou de la prière.
Pour la légende, à une époque lointaine où les hommes étaient désunis et démunis, le dieu Vishnu envoya à Gonika, maitresse yogini, et comme elle réclamait un fils, un petit être mi-homme mi-serpent couronné par un cobra aux mille têtes. Elle le nomma Patanjali.
On attribue aussi à Patanjali l’écriture d’un traité de médecine, Caraka-samhitâ, et d’une grammaire, Mahabhâsyam. Ces trois textes représentent les attentes de l’homme : la santé du corps par l’Ayurveda, la connaissance et la parole par la Grammaire et la quête spirituelle par le Yoga.

Sûtra signifie en sanskrit « fil » et à donner sutura en latin, suture en français et to sew, coudre en anglais.
Les Yoga-Sûtra (YS), que l’on peut traduire par « les fils du yoga », sont 196 aphorismes regroupés en quatre chapitres. Le sûtra est à la fois un fil conducteur et un texte court qui permet l’apprentissage par la mémorisation et le décryptage par l’interprétation personnelle que l’on donne au texte. Tout réside dans la densité de chaque sûtra qui devient un miroir pour le lecteur dont la compréhension évolue au fil de son expérience du yoga et de la vie. La répétition orale à voix haute du sûtra est un mantra qui apaise.

« Ce texte nous montre que la pratique du yoga peut modifier profondément le fonctionnement mental pour vivre en harmonie avec les autres et avec soi-même, permettant ainsi de progresser sur un chemin de spiritualité universelle. » Frans Moors

Les YS ne sont pas religieux mais théistes. Ce qui n’est pas l’oeuvre de l’Homme est produit par une source universelle reliée à la vie même. Cette source est souvent appelée Ishvara et traduite par « ce qui est plus grand que soi ».

« On peut cheminer dans le yoga sans accepter l’idée d’un « Créateur du monde », vers lequel on devrait nécessairement se tourner. La voie dévotionnelle n’est recommandée qu’à celles et ceux à qui elle convient. Le yoga de Patanjali se caractérise à la fois par sa rigueur, sa tolérance et son ouverture à tous les chercheurs sincères. » F. Moors

photo Frans Moors

Les Yoga Sûtra se structurent en quatre parties :

  • Prathama (premier) Samâdhi (la compréhension par le recueillement en soi-même) Pâdah (chapitre)
    Les 51 premiers sûtra abordent d’emblée l’état intériorisé qui est nécessaire au Yoga et qui est aussi le but de la pratique.
    Dès le premier sûtra du premier chapitre (YS I 1), le lecteur est engagé personnellement et instantanément. « Puisque tu as rencontré le yoga, alors sois présent ! »
    YS I 1 atha yoga-anushâsanam
    Maintenant commence l’instruction, nourrie d’expériences, du yoga (que l’on peut traduire par union en soi ou harmonie).
    Dès le 2ème aphorisme, Patanjali nous donne la définition du yoga :
    YS II 2 yoga-citta-vritti-nirodhah
    « L’harmonie (yoga) est l’apaisement, la concentration et la canalisation complète des activités fluctuantes du mental. » F. Moors
    Et dès le 3ème sûtra, il évoque l’essence même de tout être qui ne peut être perçue que si le mental est clair et apaisé, comme transparent.
    YS I 3 tadâ drashtuh svarûpe-avasthânam
    « Alors, « ce qui perçoit » est établi (ou rétabli) dans sa véritable nature. » F. Moors
    L’Être profond (purusha) est l’essence de la personne et de la vie. C’est une pure conscience (cit) qui ne varie pas en fonction des turbulences du mental mais qui est là au plus profond de nous-même en permanence. Cependant l’agitation et la dispersion du mental nous cache cette pure conscience, cette lumière en nous !
    Ainsi Patanjali nous dit d’emblée ce que le yoga peut nous faire retrouver, percevoir en nous-même si nous acceptons, par la pratique assidue et aussi par le lâcher-prise, d’apaiser notre mental ! Ce qui ne signifie en aucun cas ne plus penser mais plutôt accepter le flux de nos pensées dans un premier temps pour ensuite le recueillir et le rediriger en toute conscience. Car sinon la personne s’identifiera à ses pensées, autonomes et fluctuantes, au risque d’entrer dans une rumination mortifère.
    Ensuite viennent les définitions du mental (citta) et de ses activités (vritti), la démarche à suivre pour un mental apaisé (abhyâsa et vairâgyâ) mais aussi les obstacles sur la voie.
    Ce premier chapitre nous parle de l’état d’humanité.

  • Dvitayah (deuxième) Sâdhanâ (l’apprentissage de la pratique de yoga) Pâdah (chapitre)
    Ces 55 sûtra sont peut-être les plus connus des yogin(i) car ils concernent la pratique du yoga. La racine Sâdh- signifie « avancer, s’accomplir » et Sâdhanâ est un terme militaire qui évoque les moyens techniques à appliquer dans un but précis.
    Si on veut entrer dans l’état de yoga, il faut s’appliquer à quelques exercices (tapas).
    On doit s’en donner les moyens !
    La racine Tap- qui signifie « cuire, chauffer » a donné le terme tapas qui évoque l’ardeur à mettre dans la pratique. Les postures de yoga et les karana vont améliorer la santé et la forme physique pour que le(a) yogin(i) soit bien incarné(e).
    « Le chemin qui va au corps est une impasse, le chemin qui part du corps est une grande route. »
    Nous avons aussi un psychisme qu’il est important d’analyser pour ne pas s’y identifier et pour mieux appréhender ses réactions.
    Il est aussi indispensable de trouver son propre dharma, son svadharma, car cela motive l’action juste et « il est périlleux d’emprunter le dharma d’un autre » !
    Pour cela, il faut chercher à se connaitre (svâdhyâya) pour améliorer ses propres talents.
    Bien sûr la sâdhâna n’évite pas les obstacles et les souffrances (klesha) mais ils peuvent être surmontés et atténués si nous en prenons conscience et le yoga nous y aide.
    Patanjali nous donne également à partir du sûtra II 10, des conseils pour les éviter.
    Enfin la voie doit être suivie en confiance. Il faut savoir s’abandonner à ce qui advient mais qui par définition n’est pas maîtrisable car plus grand que soi ! C’est îshvara pranidhâna.
    Le deuxième chapitre commence par la définition de ce qu’est le Kriya Yoga, le yoga de l’action.
    YS II 1 tapah-svâdhyâya-ishvara-pranidhânâni kriyâ-yogah
    « Purification et ascèse, étude de soi et abandon au Suprême constituent l’action pour le yoga (ou le yoga de l’action) » d’après la traduction de Frans Moors.
    Ces trois facettes sont indissociables et progressives. Il faut fournir un effort pour se mettre en marche (tapas) mais dans une direction réfléchie et intelligente qui prend en compte son individualité (svâdhyâya) tout en reconnaissant ses limites en faisant preuve d’une qualité d’abandon sans démission (îshvara pranidhâna).
    Ce premier sûtra du chapitre II est vraiment fondamental en ce sens qu’il fait appel à l’intelligence, au libre arbitre et à la responsabilité de chacun afin d’éviter des pratiques sectaires qui entretiennent la confusion ou des pratiques qui blessent et abîment.
    Ensuite Patanjali expose le processus de l’Ashtanga Yoga, le yoga aux huit membres :
    YS II 29 yama-niyama-âsana-prânâyâma-prathyâhâra-dhâranâ-dhyâna-samâdhayah-ashtau-angâni
    « Les huit membres du yoga sont les disciplines relationnelles, personnelles, corporelle, respiratoire, sensorielles, la concentration, la méditation et le ravissement lumineux. » F. Moors.
    Pour plus d’approfondissement, je vous renvoie à l’article sur ce sujet ici.
    Un autre sûtra de ce chapitre est bien connu des yogin(i) car c’est celui qui définit la posture, âsana. Il se trouve placer au juste milieu du texte.
    YS II 46 sthira-sukham-âsanam
    « La posture est ferme et agréable. »
    D’après la traduction de Frans Moors, « la posture est la partie visible de l’iceberg du yoga. Elle n’existe que lorsque ces deux qualités sont pleinement réunies : sthira et sukha.
    Sthira est la fermeté mentale, la présence à l’instant, la vigilance intérieure, la régularité du souffle, la stabilité physique…
    Sukha indique le bien-être, la fluidité du souffle dans une attitude agréable, confortable, aisée génératrice de joie et de plaisir. C’est l’opposé de duhkha. (la douleur !)
    (…) La définition montre que l‘âsana est plus qu’un simple exercice physique, c’est une attitude de l’ensemble de la personnalité dans la pratique posturale comme dans la vie quotidienne. »
    Patanjali complète sa définition d‘âsana dans l’aphorisme suivant :
    YS II 47 prayatna-shaithilya-ananta-samâpatti-bhyâm
    « Combinant à la fois un effort intelligent et décontracté, et la méditation sur (les qualités) d’Ananta. » F. Moors
    L’effort pour un maintien ferme de la posture doit être associé au relâchement des tensions inutiles. « La décontraction existe parce que l’effort est juste. »
    « Le souffle n’est ni forcé, ni rugueux, ni saccadé. La méditation (samâpatti) sur l’infini (symbolisé par le serpent Ananta) montre la présence d’une grande intériorisation. »
    Le pratiquant de yoga revient sans cesse à la lecture de ce deuxième chapitre des YS car elle dévoile toujours de nouvelles approches, nécessaires au cheminement.

  • Tritiyo (troisième) Vibhûti (les développements et les pouvoirs que procure le yoga) Pâdah
    Dans ces 51 sûtra, Patanjali nous présente les capacités et les dons que les yogin vont développer au fil d’une pratique sérieuse et assidue. Le yoga transforme et cela découle en grande partie de l’amélioration de la concentration, dhâranâ.
    Dès le début du troisième chapitre, après l’exposé des cinq membres (anga) extérieurs du yoga à la fin du deuxième, sont révélés les trois membres intérieurs. Ils représentent une continuité de la sâdhana développant l’ascèse d’attention (dhâranâ), de méditation (dhyâna) et de compréhension complète (samâdhi).
    YS III 2 tatra pratyaya-ekatânatâ dhyânam
    « La méditation est la résonance prolongée là, uniquement dans ce contenu mental. »
    Frans Moors, dans sa traduction, nous explique qu’en se concentrant sur un objet de méditation, qui peut être l’espace du coeur ou une ambiance intérieure désirée ou encore la sensation de l’énergie d’une posture…, nous entrons en communication avec lui et rien que lui.
    Alors « le méditant s’ouvre à l’énergie de son objet d’intérêt, il est imprégné et laisse vibrer en lui l’objet. »
    La pratique de yoga prépare le corps et le mental à réaliser cette expérience intérieure qu’est la méditation (dhyâna).
    Il est aussi recommandé d’appliquer ce processus d’attention sur un et un seul objet dans la vie quotidienne pour améliorer sa présence à l’instant.
    Alors « lorsque les dispositions d’orientation émergent et que les dispositions à la dispersion s’amenuisent, (…) un courant de paix s’écoule… »
    Plusieurs objets de méditation, abordés dans ce 3ème chapitre, permettent de pratiquer « l’investigation profonde » (samyama) dans le but de développer un rayonnement intérieur afin que s’accomplissent les qualités ou les pouvoirs (siddhi) que nous possédons.
    YS III 39 udâna-jayât-jala-panka-kanthaka-âdisu-asangah utkrântih-ca
    « Par la maîtrise du souffle ascendant (udâna), il y a élévation et désengagement de l’eau (ce qui mouille ou noie), de la boue (ce qui enlise et salit), des épines (ce qui pique et blesse). »
    J’aime ce sûtra car il dit la capacité que l’on a de se détacher de ce qui nous ramène toujours vers le bas, grâce à la pratique du souffle d’udâna (un des cinq souffles, vayu) qui nous élève.
    Mais ce chapitre recèle bien d’autres exemples encore de la puissance du yoga quand il est pratiquer avec discernement et dans un but d’élévation spirituelle dans le respect des ashtanga yoga.

  • Caturtah (quatrième) Kaivalya (la libération, l’émancipation) Padah

Kaivalya est un terme employé dans le yoga pour définir le quatrième niveau de la respiration, qui est la suspension du souffle. Mais c’est aussi, dans la philosophie du yoga et du samkhya, la libération (mukti) ultime, le détachement de tous les liens. On le traduit parfois par l’isolement !
Tout.e yogin.i pratiquant les ashtanga ne cherche pas la libération mais y est amené.e, porté.e par le détachement.
François Roux nous disait, lors de son cours sur le YS, que ce dernier chapitre avait été mis en place en relation avec les bouddhistes, comme un dialogue.
L’impermanence de la réalité des choses est le résultat de l’adaptation permanente de la Nature, prakriti.
YS IV 2 jâti-antara-parinâmah prakriti-âpûrât
« La transformation en une autre situation se produit grâce à la plénitude de la Nature.
La « Nature » est le monde en évolution (prakriti). Cette « Nature » est généreuse, potentiellement pleine (âpûra) de promesses. »
Dans ces 34 derniers aphorismes, sont évoquées les caractéristiques de la libération, kaivalya, pour le yoga et les différences avec les autres darshana.
Des notions essentielles, comme la puissance de la personnalité (asmitâ-mâtra), le rôle du mental (citta), la notion d’observateur (drashtir) et le Maître intérieur « parfaitement éveillé et toujours lumineux » (Purusha), sont développées dans une approche plus spirituelle.
Enfin lorsque le kaivalya est accompli, le détachement complet des mauvaises (comme des bonnes) habitudes survient. Nous ne sommes plus esclaves de nos émotions ni de nos pulsions inconscientes. Nous ne sommes plus l’acteur de nos afflictions. Nos actions sont libérées des traces de nos souffrances (klesha).
YS IV 29 prasankhyâne-api-akusîdasya sarvathâ viveka- khyâteh-dharmameghah samâdhih
« L’intégration dans un nuage d’harmonie (dharma-meghah-samâdhi) émane de la réalisation du discernement absolu et permanent dû au désintéressement complet, même dans le savoir abouti. »
« Le « dharma-meghah-samâdhi » est l’un des plus hauts ravissements du yoga (samâdhi). Les commentateurs le décrive comme une abondance de bonté, une « cascade de vérité » (dharma-meghah). »
On peut lire ce dernier chapitre avec les yeux du poète ou du chercheur spirituel. Il dévoile le point de vue du yoga sur la vie, son sens et son but. Chacun l’interprétera avec son propre ressenti et ses propres expériences.
L’expérience de la spiritualité est personnelle.

Je remercie mon professeur à l’Ecole Française de Yoga de Paris, François Roux, pour son cours sur les Yoga Sûtra qu’il agrémenta de sa connaissance des langues anciennes pour mettre en relation le sanskrit, le latin et le grec ancien, comme un pont entre l’Orient et l’Occident.
Ma compréhension des Yoga Sûtra s’appuie également sur la traduction et les commentaires de Frans Moors dont je vous recommande particulièrement la lecture. Cet ouvrage de référence dans le yoga a été écrit en collaboration avec son professeur indien, Sri TKV Desikachar, qu’il rencontra chaque année pendant près de 30 ans à Madras.

Ce grand texte du Yoga est un support pour tout pratiquant de cette discipline, à la fois corporelle et spirituelle, dans sa recherche de la sagesse qu’il délivre et de ses applications dans la vie quotidienne.

  • Frans Moors, Patanjali Yoga-Sûtra, Les Cahiers de Présence d’Esprit – Saint Etienne – 2012

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