Une histoire du Yoga 4 – Hatha-Yoga-Pradîpikâ

La Hatha-Yoga-Pradîpikâ (H.Y.P.) ou « la petite lampe du Hatha-Yoga, qui met fin à l’obscurité causée par les facteurs de servitude », est un traité de techniques de sâdhana (voie de réalisation par le yoga) utilisées par de nombreux courants spirituels indiens.
Il a été écrit par Swami Svâtmârâma de l’école des Nâtha-Yogin, une « secte » (dans le sens indien du terme, désignant un groupe de personnes qui suivent l’enseignement d’un maitre, Guru, littéralement « celui qui a du poids » ) , ou plutôt une communauté tantrique shivaïte, très importante pendant plusieurs siècles sur tout le continent indien.

Bien qu’il soit difficile de dater ce texte, la H.Y.P. est relativement récente. Elle n’est pas antérieure au XVe siècle et elle s’appuie sur deux oeuvres (« Gorakhsha-shataka » et « Hatha-Yoga ») que la tradition attribue au Guru Gorakshanâtha (ou Gorakhnâth), ayant vécu au Xème siècle, et qui est considéré comme l’un des principaux fondateurs des Nâtha-Yogin.
Il a « popularisé à travers tout le continent indien les principes et les méthodes yoguiques, et en particulier cette forme de yoga nommée « Hatha-Yoga », yoga de force, voie rapide et violente vers la libération (moksha), ou selon une autre étymologie traditionnelle, yoga de l’unification du Soleil (Ha) et de la Lune (Tha). »
Soleil et Lune représentent symboliquement pour le yoga les deux pôles opposés de toute manifestation mais aussi « les deux courants du souffle vital (prâna et apâna) et les deux nâdi (canaux d’énergie) du corps humain (îda et pingalâ), qui doivent être unifiés au terme de l’effort yoguique. »

Gorakshanâtha

Matsyendranâtha

Les deux fondateurs de la communauté des Nâtha-Yogin, Gorakhnâth ayant réellement existé, Matsyendranâth de façon moins certaine…

« La tradition de Gorakshanâtha permet de bien comprendre les autres points de vue (Darshana) variés de l’Hindouisme. N’importe quelle personne pouvait être acceptée parmi les Nâtha, à condition de comprendre profondément l’essence de leur enseignement, sans que soit pris en considération le système des castes ou toute autre restriction sociale ou religieuse qui existe en Inde. » d’après Yogi Matsyendranath Maharaj, nathâ yogin vivant actuellement en Inde. Ce mouvement a encore des adhérents de nos jours surtout dans le Bengale du Nord où on les surnomme Jugi.

« Dans la tradition Nâtha, le Kundalinî-Yoga est synonyme de Laya-Yoga, yoga de la résorption, reliant le Hatha-Yoga au Râja-Yoga (ou Yoga Royal qui est attribué à Patanjali ou bien considéré comme la quintessence de tous les yoga). Par le Hatha-Yoga vous apprenez à maîtriser l’énergie vitale (prâna), et grâce au Râja-Yoga à maîtriser l’esprit.
Le Laya-Yoga implique des éléments de travail avec le prâna et aussi avec l’esprit. En addition l’éveil de la Kundalinî-Shakti (puissance énergétique du principe féminin) est possible à travers le mantra qui doit être conféré par le Guru, alors il peut mener à l’atteinte de siddhis (perfections yoguiques). » d’après une interview de Tara Mickaël qui a traduit et commenté la H.Y.P.

Pour comprendre les grands principes du Hatha-Yoga décris dans la H.Y.P., il faut d’abord évoquer les Tantra, littéralement en sanskrit « tissu » ou « texte », qui sont des doctrines et des pratiques multimillénaires, formant la samprâdaya, transmises au sein d’une communauté, parfois secrète, réunie autour d’un guru.

Les tantra

Ce sont des textes révélés, comme les Veda mais beaucoup moins anciens, qui datent du 5ème au 15ème siècle de notre ère. Les Tantra sont apparus au Cachemire, nord-ouest de l’Inde, et au Bengale, nord-est. Il existe des Tantra bouddhistes et hindouistes.
Ils comportent en général quatre parties :
Vidya, la connaissance qui est un exposé assez sommaire de la doctrine.
Yoga, Kriya-Pûjâ (les rituels de purification) et Acharya (littéralement le Maître et plus généralement le rôle social) qui concernent tous les trois le comportement à adopter pour atteindre la libération.

Les Tantra sont classés en deux grandes voies différentes :
– Ati Marga, littéralement la voie extérieure qui est suivie par des renonçants transgressant la société, comme les Kapâlika, par exemple, les porteurs de crâne qui errent sur les lieux de crémation.
– Mantra Marga, la voie du son, plus intérieure et sociable où l’on trouve même des brahmanes mais aussi des confréries ésotériques plus secrètes.

Pour ces communautés tantriques, l’initiation est un rituel de transmission, dans le plus grand secret, d’un mantra personnel qui aurait, pour l’initié, un pouvoir de transformation par la puissance vibratoire de la parole, davantage que par le sens des mots. Le guru est assimilé à la divinité et sa parole n’est pas remise en question. Il communique avec le disciple par divers moyens comme le rêve, la présence intérieure et par les épreuves qu’il lui soumet aussi.
Pour les Tantra, c’est la divinité qui s’incarne à travers le guru pour transmettre l’enseignement et guider le disciple vers la libération du cycle des renaissances et des souffrances.
Les tantra shivaïtes suivent Shiva alors que les tantra vishnouites sont différents selon l’avatar de Vishnou : Krishna, Kurma… mais restent plus ouverts à l’accueil et à la fraternité. Les shivaïtes sont en général plus rudes et plus difficiles d’accès.

Le yoga proposé par les Tantra est basé sur l’éveil de la Kundalini, la puissance cosmique, qui peut aussi s’éveiller chez l’Homme. Elle prédomine surtout dans les Tantra shivaïtes adorateurs de la Déesse, ou Shakti.
Cette idée de potentiel énergétique intérieur précède les Tantra mais ils vont en préciser la forme, les effets et le nom. Les Yoga Sûtra de Patanjali, par exemple, n’en parle pas. C’est vers le 9ème siècle que le mot kundalini apparaît ainsi que la théorie des chakra qui sont des lieux de conscience énergétique.
Kundala, qui signifie en sanskrit « enrouler », évoque un serpent , symbolisant l’énergie, enroulé à la base de la colonne vertébrale, dans l’espace de Muladhara Chakra (support, « adhârâ« , de la racine, « mula« ), entre anus et pubis. Les techniques pour éveiller la Kundalini se font d’ailleurs le plus souvent dans la posture d’assise.

« Lorsque par la grâce du Guru s’éveille la Kundalini endormie, tous les Lotus (padma) et les Noeuds (granthi) sont percés. » verset 2 du Chapitre 3 de la H.Y.P.

Les trois Granthi, ou Noeuds, Brahma Granthi au niveau de Muladhara, Vishnu Granthi au niveau de Anahata et Rudra Granthi au niveau de Ajna.

Le Hatha-Yoga

Le Hatha-Yoga est le fruit de la rencontre entre deux grands courants d’ascétisme : le Kundalini Yoga et un courant oral, du 5ème siècle av JC, que des témoignages d’Alexandre Le grand et de Marco Polo évoquent et qui était basé sur le Tapas, l’effort et l’exercice intense servant à échauffer le corps. Ces deux ascèses sont motivées par la volonté de faire remonter quelque chose et de nombreuses postures d’inversion y figurent.
Cette union permet la création d’une voie plus complète et ouverte, le Hatha-Yoga, hatha exprimant la force que la pratique nécessite et qu’elle confère également.
Ce mot apparaît pour la première fois dans le Dattâtreya Yoga Shastra. Il y est dit que si l’on s’engage dans la pratique avec enthousiasme et persévérance alors on peut accéder par la méditation à la compréhension et à la libération.

La posture de Simhâsana, le rugissement du lion.

Au chapitre 4 de la H.Y.P., il est écrit : « L’état suprême peut avoir différents noms selon les traditions et les textes. Il est une aspiration à l’universalité. »

La grande nouveauté du Hatha-Yoga est l’apport des postures, âsana, des gestes signifiants et sacrés, mudra, et des ligatures, bandha.
Dès le début, c’est une voie ouverte, non élitiste et pas secrète comme les Tantra.
Pour le Hatha-Yoga, l’union se vit avec soi-même.
La H.Y.P. décrit précisément plusieurs grandes postures de yoga, contrairement aux Yoga Sûtra, ainsi que les différentes techniques de respiration, prânâyâma, les suspensions du souffle, kumbhaka, et les trois ligatures, bandha, qui doivent accompagner le prânâyâma.
Et « la meilleure méthode pour accéder graduellement au samâdhi. Destructrice de la mort, moyen assuré du bonheur, elle permet de réaliser la suprême béatitude du Brahman. » v 2 ch IV.

La Hatha-Yoga-Pradîpikâ est un manuel, riche et précis, des techniques du Hatha-Yoga et du Raja-Yoga. Il complète, pour tout chercheur sur le chemin du yoga, l’apport plus philosophique des Yoga-Sûtra de Patanjali.
Je remercie particulièrement Raphaël Voix, ethnologue et chercheur au CNRS spécialisé en civilisation indienne, pour ses conférences passionnantes, lors d’un stage de Boris Tatzky dont le thème était l’éveil de la Kundalini.

  • Les photos viennent du beau livre, Yoga l’art de la transformation, La plage
  • Hatha-Yoga-Pradîpikâ – Tara Michaël – Fayard 2012
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