Le passage

Lors de la dernière retraite de yoga et de méditation sur la Costa Brava, le thème du passage s’est imposé, parce que c’était Pâques et que le symbole en est le passage et la libération. Mais aussi parce que la pratique du yoga et de la méditation nous amène à vivre de nombreux passages…

Le mot vient de passus en latin « pas », « passage », et désigne le déplacement, l’acte de se déplacer.
Il est une marche vers ailleurs, une enjambée, un cheminement, un processus de transformation en train de s’opérer.
En même temps, le passage désigne le lieu où s’effectue ce processus, mais aussi la trace qu’il laisse ou bien le support qui le rend possible, comme un pont.
Le passage peut aussi désigner le seuil qui marque un changement. Les saisons sont des passages, des séparations dans la continuité du temps.

Un passage relie et au contraire sépare, comme le yoga qui nous permet dans un premier temps de bien discerner (viveka) pour mieux ré-unir ensuite dans une recherche d’harmonie (yoga).

Le passage c’est le mouvement et le mouvement c’est la vie.
C’est dans l’entre-deux que naissent les choses, le passage crée un espace intermédiaire, un interstice comme une sorte d’espace, d’ouverture dans la continuité.

C’est l’expression de l’impermanence.
« Lorsque nous ne luttons pas contre elle, nous sommes en harmonie avec la réalité. L’impermanence est un principe d’harmonie. » Pema Chödrön

Ne pas faire obstacle au passage du temps et du souffle nous guide vers une sagesse.

Dans la pratique du yoga

En pratiquant le Yoga de Madras guidée par Isabelle Morin Larbey, ma professeure à l’EFY de Paris, j’ai pu expérimenter que la pratique permet de libérer les zones étroites du corps :
° la taille qui sépare l’affect du viscéral
° le cou qui sépare le mental de l’affect
Elles sont des passages. En les détendant, en les allongeant et en les tonifiant aussi, on libère la circulation de l’énergie progressant dans une direction ascendante.
Avant chacune de ces deux zones corporelles se trouve une ceinture, la ceinture pelvienne avant la taille et la ceinture scapulaire avant le cou. Comme deux portes qu’il est nécessaire d’ouvrir (en s’efforçant de les « déverrouiller » par la pratique corporelle) pour faciliter le passage.
Dans le symbolisme pythagoricien, ces ceintures sont nommées respectivement « Porte des Hommes » et « Porte du Ciel ». Ce sont des seuils !

Au niveau du corps de l’énergie, Sthula Sharira, ces deux zones étroites correspondent à deux cakra, qui sont par définition des lieux subtils de passage des énergies :
°le cakra de mani pura au niveau de la taille, lieu de combustion et de transformation
°le cakra de vishudha au niveau de la gorge, lieu de purification des énergies ascendantes.
Ces deux cakra nous parlent de nettoyage, de purification des énergies et de transformation. Comme un passage obligé !

tableau trouvé sur le site de yogasesame .com
tableau trouvé sur le site yoga sésame

Un autre passage pour le yoga est le shavâsana, cette posture d’abandon qui suit la pratique corporelle.
« Dans ce temps du relâchement, on se met à entendre autrement, à recevoir, sentir, à être tout simplement disponible à ce qui se dit en soi. » Christia Berthelet Lorelle
C’est en arrivant à relâcher nos défenses, nos résistances physiques et psychiques que nous nous ouvrons à ce qui est.
La pratique physique préalable, qui nous demande un effort juste (prayatna) car il ne nous abime pas, va nous permettre d’accéder à un relâchement (shaitylia) de nos tensions dans la posture d’abandon à plat dos. Cette posture qui signifie littéralement « le cadavre » (symbole du Grand passage ) crée les conditions propices à un abandon pour qu’advienne le temps de l’écoute intérieure « et ce qui survient par surprise peut être accueilli, médité, intégré… et quelquefois prend valeur de révélation. » ibid

Enfin j’évoquerai le processus d’intériorisation des sens qu’est prathyâhârâ, décrit dans le dernier sûtra du 2ème chapitre des Yoga Sûtra de Pantajali (YS II 54). Car le relâchement des tensions inutiles, la décontraction qui est ce que l’on doit viser dans chaque posture, va nous ouvrir le passage vers le monde intérieur et changer notre point de vue sur les choses.
« Lorsque les sens sont déconnectés de leurs objets d’attention habituelle, c’est la rétractation des organes des sens, comme dans une ressemblance avec la forme du mental. » d’après la traduction du sûtra par Frans Moors.
Grâce à la pratique de la respiration consciente (pranâyâmâ), nous développons notre concentration et les organes des sens sont moins dispersés ou moins accaparés par « leurs objets d’attention habituelle » .
Au contraire, avec l’expérience acquise par une pratique régulière, les sens vont capter davantage de sensations intérieures. Nous allons développer notre regard intérieur en l’associant au sens intérieur du toucher par exemple. L’écoute intérieure va s’affiner.
Ce passage important du yoga nous ouvre la porte des derniers membres (anga) du yoga.
Dhârâna, dhyâna et samâdhi, (respectivement concentration, méditation et compréhension lumineuse), sont les trois dernières étapes les plus subtiles du yoga. Leur description introduit le 3ème chapitre des YS de Patanjali.
Ainsi le retrait des sens, prathyâhârâ, est comme un passage de l’extérieur vers l’intérieur, du plus grossier, notre corps physique d’où l’on part, vers le plus subtil en nous.
« L’expérience permet au yogin de percevoir à l’intérieur et à l’extérieur de soi, jusqu’au-delà du visible, au-delà de l’audible, et ainsi avec chaque organe sensoriel. » ibid

Il y a encore beaucoup d’autres passages à vivre en yoga.
Le yoga est un outil dans notre vie. Il se pratique dans le quotidien aussi et nous ramène toujours dans l’instant présent, là où ça se passe.
L’éternité du moment présent… Sans oublier le passé ou nier l’avenir, mais justement parce qu’il nous aide à nous situer dans l’entre-deux pour que le courant naturel, vital, de l’énergie dans l’espace et le temps continue de circuler.

Pour finir en poésie

Je vais m’éloigner un peu du yoga (quoique !) pour laisser la poésie dire le passage.
Et parce que j’ai découvert ce poète par l’intermédiaire du yoga, je laisse les mots de Philippe Jaccottet pour la fin.

« J’ai pu seulement marcher et marcher encore, me souvenir, entrevoir, oublier, insister, redécouvrir, me perdre. Je ne me suis pas penché sur le sol comme l’entomologiste ou le géologue : je n’ai fait que passer, accueillir. » Paysages avec figures absentes

« Le temps où nous errons est un désert, une nuit sauvage ; les dieux se sont retirés dans la sphère de l’Immuable »

Cela m'évoque le Kali Yuga (l'âge de fer dans lequel nous sommes) pour la cosmologie hindoue mais l'âge d'or vient après...

« comme si, dans l’obscurité impénétrable de notre condition, s’ouvraient des passages, je ne puis mieux dire, des espèces de fenêtres, de perspectives par où pénètrent de nouveau un peu de lumière, un peu d’air. »
La lumière du passage, c’est là « ce qu’il incombe à la poésie de faire entendre, même aujourd’hui », « même si toute noirceur existe en nous, hors de nous. »

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