Abhyâsa – Vairâgya

Ces deux concepts inséparables sont fondamentaux pour vivre l’état de yoga, que l’on peut définir comme l’harmonie et la stabilité intérieure.

Abhyâsa signifie entrer dans un chemin de pratique soutenue, abhya est un travail demandant courage, effort et asa voulant dire lancer, projeter.
« Mais pour bien s’engager, il faut se détacher. Il faut mettre en oeuvre l’art de l’esquive propre aux Arts Martiaux. » , nous dit François Roux.
C’est pourquoi Vairâgya, l’absence de raga, de passion, est intimement lié à une bonne pratique de yoga, bien que celle-ci réclame assiduité et enthousiasme.

L’effort et le détachement semblent incompatibles mais c’est tout l’art du yoga de réunir ce qui semble opposé. C’est aussi en quelque sorte la voie du milieu, le ni trop ni trop peu !
Lorsque la posture de yoga, asana, est bien installée dans la fermeté (sthira) et l’aisance (sukha) alors nous vivons pleinement  abhyâsa et vairâgya.

Le Yoga Sûtra I 12 nous donne cette clé pour la pratique du yoga :

« abhyâsâ-vairâgyâ-bhyâm tan-nirodhah »
« La maîtrise des activités fluctuantes du mental résulte de la pratique couplée au détachement. » *

Frans Moors attribue à la pratique assidue tout ce qui est entrepris pour favoriser l’orientation claire et paisible du mental, la pratique posturale mais aussi la concentration et la méditation. Et pour lui, le détachement vient de l’abandon sans frustration de tout ce qui pourrait se mettre en travers du chemin.

L’engagement dans la voie du yoga nécessite un détachement fondé sur la confiance absolue en ses vertus. Les témoignages des yogin et yogini, qui nous ont précédés, nous soutiennent et l’enseignement d’un professeur nous guide sur cette voie. Ainsi le yoga a traversé les millénaires pour arriver jusqu’à nous, porté par une transmission éthique et authentique qui l’a préservé.

« Ce qui émane des Veda, c’est qu’il faut lâcher, laisser faire pour avancer vers la connaissance. L’expérience est plus importante que le but. La valeur n’est pas la réponse mais plutôt le chemin, l’avancée vers !  » Liliane Cattalano.

Ce concept de Abhyâsa/Vairâgya est aussi très présent dans un autre grand texte du yoga, la Bhagavad Gîta. Celui-ci, situé entre le 3e et 2e siècle av JC et qui signifie littéralement le chant (gîta) du bienheureux (bhagavan), fait partie du Mahâbârata, épopée majeure de la culture indienne.
Ce chant est un dialogue entre Krishna, le bienheureux, et son disciple Arjuna, guerrier (kshatriya) qui doit maintenir l’ordre du monde, le Dharma, mais qui doute de la légitimité de son rôle car il doit affronter des membres de sa famille. Ce dialogue nous amène à réfléchir sur le sens de l’action volontaire et désintéressée.
Le yoga en est le thème essentiel. Il y est présenté comme la voie de l’union de soi en soi-même et la solution au doute qui ronge Arjuna.

« Il nous parle de l’esprit du yoga que l’on cherche à développer dans sa vie quotidienne et dans sa relation à l’autre. » Gisèle Siguier Sauné.

Ainsi il est écrit dans le chapitre II versets 47 et 48 :
47 – Tu as vocation à agir mais non à récolter le fruit de tes actes. Que ces fruits ne soient pas le motif de ton action mais ne t’attache pas davantage au non-agir.
48 – Etabli dans cette discipline du yoga, adonne-toi à l’action, ô Dhananjaya (Arjuna). Demeure l’âme égale dans le succès et dans l’échec car le yoga est équanimité.

Gisèle Siguier Sauné, dans ses cours à l’Ecole Française de Yoga, commente  ainsi ces versets :
« Il faut accomplir l’action qui s’impose, l’action nécessaire au courant de vie. Il faut accepter cette nécessité et la liberté ne vient pas d’un refus systématique d’agir ! Mais au sein même de l’action, il est parfois nécessaire de se détacher et de regarder avant de reprendre l’action. C’est le détachement intérieur. » (…) « Il est nécessaire d’être dans la détermination de ses actes propres, dans la volonté de ne pas être dans la répétition inconsciente ! On entend par volonté, la capacité à mobiliser son énergie dans le but de l’action choisie. Ce qui diffère du volontarisme qui est de tout soumettre à sa volonté, de tout contrôler. » (…) « Dans la pratique répétée des postures de yoga, on est dans cet exercice de la volonté car l’ascèse, au sens de la pratique, va laisser de nouvelles traces, des mémoires physiques et psychiques. Ces transformations sont lentes, parfois invisibles mais il y aura toujours un effet. »

Il faut distinguer l’effort du fruit qui est convoitise. L’effet arrive sans que l’on cherche un résultat. C’est le laisser faire, l’abandon à la pratique et à ses effets, qui transforme inévitablement. Ce n’est que dans cette ouverture que l’on pourra accueillir les sensations réelles pour doucement affiner la connaissance de soi et assouplir son rapport au monde.

Pour terminer cette réflexion sur l’action nécessaire dans le détachement, j’aimerais vous retranscrire de mémoire une parole de Christia Berthelet Lorelle« Le laisser-faire doit suivre la pratique. Abhyâsa et Vairâgya sont liés. Lâcher le recours au sombre, au malheur comme une habitude dans ce rapport masochiste à la vie. Il est nécessaire par la pratique d’installer une autre mémoire, de bonheur ! » 

  •  Commentaires et  traduction de Frans Moors – Yoga Sûtra de Patanjali – Les Cahiers de Présence d’Esprit.
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