Une histoire du Yoga 1 – Introduction : Quelques notions de la pensée indienne.

Je voulais depuis longtemps écrire un article pour éclairer mes élèves sur les origines du yoga. Mais la tâche est vaste et le résumé complexe… Voilà donc une histoire du yoga que je vous transmets grâce aux enseignements que j’ai reçus à l’École Française du Yoga de Paris. Les professeurs, qui me l’ont eux-mêmes transmise, sont de grands chercheurs et connaisseurs du monde indien, de son histoire et de sa civilisation. Je m’appuie donc en toute confiance sur leurs connaissances, et sur mes lectures aussi.
Je tiens à remercier particulièrement mes professeurs Liliane Cattalano, Gisèle Siguier Sauné, François Roux et Raphaël Voix, pour leur générosité dans la transmission de leur savoir.

Cette histoire du yoga sera divisée en trois parties selon les trois grands textes du yoga qui sont dans l’ordre chronologique : la Bhagavad Gîta, le Yoga Sutra de Patanjali et la Hatha Yoga Pradipika.

Pour commencer, il est nécessaire de connaitre quelques notions importantes de la pensée indienne et de l’histoire de l’hindouisme.
Le yoga fait partie de la pensée indienne avant la naissance de l’hindouisme et n’est pas uniquement pratiqué par les hindous, bien sûr, mais il est imprégné de cette culture.

La quête de libération :

La pensée de l’Inde n’est pas linéaire, il existe de grands cycles qui peuvent se couper ou s’imbriquer. Plusieurs points de vue que l’on nomme les darshana, s’y complètent. Ces approches sont complémentaires, monistes car elles affirment l’unité indivisible de l’Être, et mystiques.
Le yoga est un des six darshana.

« Dans la mystique, l’homme recherche et atteint l’union spirituelle avec l’Univers. » Albert Schweitzer.

Si j’aiguise la connaissance de mon monde intérieur alors je comprendrai mieux le cosmos. Pour l’Inde et le yoga, le microcosme est à l’image du macrocosme.
Le bon fonctionnement du monde, ou l’ordre cosmique : le dharma, doit être maintenu et chacun, à son niveau, en a la charge. On le nomme alors son dharma personnel, le svadharma.

Il existe quatre parties dans le monde : un quart est le monde manifesté, celui que l’on connait et les trois autres quarts représentent le monde non manifesté, invisible, d’une dimension subtile et intérieure.
Pour le yoga, on parle des différents corps, sharira, et de leurs enveloppes, kosha, qui sont imbriqués du plus grossier, le corps physique, aux plus subtils, le corps de l’énergie et le corps causal.
Seuls les êtres éveillés peuvent saisir la réalité de ces corps car ils ont atteint l’état de Moksha qui signifie en sanskrit la délivrance, la libération (du cycle des réincarnations).
Le yoga est une voie de libération.

« Cela peut arriver à tous par moments lorsque l’on n’est plus seulement soi mais tout ce que l’on regarde, ce que l’on écoute. Ces moments sont les samadhi, étape ultime de compréhension en yoga. Moksha est l’être éveillé, l’état permanent d’éveil. »
Liliane Cattalano

La littérature indienne s’applique à étudier cet état de moksha. L’être éveillé, celui qui est délivré est appelé le mukta ( mok et muk sont de la même racine sanskrite qui veut dire (re)lâcher) et s’il l’est de son vivant, on l’appelle le jivan mukta.

Cette notion de libération introduit le concept du karman, génitif de la racine KRI qui signifie faire, agir. Le karman est l’acte créateur et il implique toute action, pensée et émotion qui entraînent des conséquences. Comme des ondes concentriques, elles se propagent car tout est lié et en mouvement.
« On peut le comparer aussi à une graine qui va germer et qui doit grandir pour ne pas être enfouie. C’est aussi un cycle qui nous nettoie, qui laisse émerger la conscience de nos actes. »
Pour l’hindouisme, et le bouddhisme, ce karman fait tourner la roue du cycle des renaissances, le samsârâ, tant que toutes les graines n’ont pas germées.
Le samskâra, qui signifie aussi sacrement, rituel, est composé de toutes « les traces dynamiques laissées en nous par nos actes. »

Les voies de libération :

La parole est très importante dans la pensée indienne car c’est un tradition orale à l’origine et elle est aussi une déesse, vâc, des temps védiques (XXème au VIème siècle avant JC).
La parole et le sacrifice, yajna, sont liés et c’est la vibration, les ondes du langage qui sont essentielles pour trouver la voie du ciel.
La parole a, comme le monde, quatre niveaux : le premier est celui de la communication orale et les trois autres sont plus subtils, plus vibratoires dont le sanskrit, langue sacrée, fait partie. L’alphabet sanskrit comporte 50 phonèmes qui sont les 50 têtes coupées du collier de la déesse Kali !


Le mantra, littéralement « agir sur le mental » dans le sens d’une libération, se situe à l’intersection entre le premier et les niveaux plus subtils.

Les rishi, les voyants en sanskrit, sont à l’origine sept, les saptarshi, qui sont aussi les sept étoiles de la Grande Ours. Ils naquirent des souffles vitaux et sont les premiers êtres ayant une physionomie. Ils donnèrent forme à Prajâpati, le principe originel, le Géniteur.
Puis d’autres rishi, au fil du temps, continuèrent de recevoir la Révélation, la connaissance la plus pure que l’on nomme la shruti. On pourrait dire qu’ils sont surtout les entendants mais entendre et voir sont pris dans une appréhension globale.
Ils la transmirent aux brahman qui sont les « prêtres » en relation avec les mondes subtils, par le sacrifice et le chant de mantra. Les textes des commentaires des révélations, les épopées (sauf la Bhagavad Gîta qui fait partie de la sruti), les upanishad (sauf les plus anciennes)… forment la smriti, littéralement la mémoire.

Les rishi reçurent le Veda, le « savoir », qui « se compose de plusieurs parties dites samhitâ. La première, le Rig-Veda (veda des chants) renferme en dix livres, 1028 hymnes dont les plus anciens remontent peut-être à plus de quinze siècles avant l’ère chrétienne. Les dieux, qu’ils célèbrent sutout, sont Indra ( le Zeus indien), Varuna (le dieu du Dharma) et Agni, le dieu du feu et de la lumière.
Les autres veda sont le Sâma-Veda (notations musicales + 2000 strophes du Rig-Veda) , le Yajur-Veda (formules utilisées dans les sacrifices), et l’Atharva-Veda (formules magiques). » A.Schweitzer

Les upanishad viennent ensuite, entre le VII et le III avant JC et pour les upanishad tantriques, plus récemment. Les textes les plus anciens sont considérés comme appartenant à la shruti et les autres à la smriti.
Littéralement le mot signifie « s’asseoir au pied du maître », c’est un enseignement sous forme de dialogue en général et individualisé.
Ce qui émerge dans les upanishad, c’est la notion de l’atman, qui est le Brahman, le Tout ou l’Un, en chacun de nous. C’est un mouvement vers une quête intérieure, et une intériorisation du sacrifice, pour atteindre la connaissance de l’essence de la vie : le Soi ou l’atman ou le Brahman.
Il existe des upanishad du Yoga, il est aussi une quête personnelle de la spiritualité !

Les épopées sont, à l’instar de la mythologie grecque, des récits dont les protagonistes sont des déesses, des dieux ou leurs avatars, des démons- asura, des héros… Leur thème principal est la sauvegarde du Dharma.
Les deux plus célèbres sont le Mahâbhârata de Vyasa, qui est un rishi, et le Râmâyana de Vâlmîki.
Elles ont été rédigées en sanskrit :
La première, par Ganesha, le dieu éléphant fils de Shiva, évoque la guerre pour le pouvoir entre deux clans d’une même grande famille, les Pandava et les Kaurava. La Bhagavad Gîta en fait partie.
La deuxième est l’histoire de Râma, septième incarnation du dieu Vishnu, de sa princesse Sîtâ et de leur fidèle et courageux compagnon, Hanumân, le dieu singe fils du vent, contre le méchant Râvana et ses démons.
Les épopées sont souvent jouées dans le théâtre dansé indien, le Kathakali.

La trimurti est l’ensemble des trois plus grands dieux hindous, les Mahâdeva.

Brâhma : Le premier et le moins vénéré en Inde, il représente la création du monde mais est plus considéré comme l’intermédiaire entre les hommes et les grands dieux.

Vishnu : Il est responsable de la préservation, du maintien du monde, du Dharma. Il s’incarne souvent sous la forme d’un avatar (souvent Krishna mais il en a dix) qui descend sur Terre pour sauvegarder la cohésion du monde et de l’ordre cosmique. Pour se faire, la guerre peut être nécessaire comme nous l’enseigne la Bhagavad Gîta.

Shiva : Le plus grand des grands dieux représente la destruction du monde des hommes pour anéantir le monde des illusions créé par Brâhma. Il détruit l’illusion et l’ignorance pour créer un monde plus spirituel. C’est en dansant, shiva nataraja, qu’il fait et défait les cycles cosmiques et les mondes. On dit souvent que Shiva est le dieu qui transmit le Yoga.

Shakti : Que l’on peut traduire par la Déesse et qui est la partie féminine du dieu, comme un double ou une partie complémentaire et indissociable.
Sarasvati est le double de Brâhma et la déesse de la connaissance, de l’éloquence, de la musique et des arts.
Lakshmi est la parèdre de Vishnu et la déesse de la Fortune, de la richesse et de l’abondance.
Parvati est celle de Shiva. Son nom dit qu’elle vient de la montagne. Elle est le « principe féminin suprême » et souvent appelé Shakti. Elle représente la puissance de l’Energie, créatrice et aussi destructrice. Elle porte plusieurs noms dont Durgâ, la plus puissante, montée sur un lion et écrasant les démons, les asura. Elle peut être aussi Kali, la terrible et cruelle…


Ces notions succinctes de la pensée indienne et de l’hindouisme vont permettre, je l’espère, une meilleure compréhension des grands textes du yoga. Je vous propose donc de commencer dans le prochain article avec la Baghavad Gîta…

Je remercie encore ma professeure Liliane Catallano pour la somme des connaissances qu’elle m’a transmises et sa manière si vivante et captivante de le faire. Cet article est un résumé de son cours.

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