La posture de Matsyèndra est considérée comme l’une des cinq plus grandes postures du Hatha-Yoga qui est le yoga de l’effort ou dans une autre acception le yoga du soleil (Ha) et de la lune (Tha).
« Cet enseignement tantrique axe sa pratique sur l’éveil de la force vitale, énergie spécifique de l’individu, parcelle de la grande Énergie indifférenciée, moteur et cohésion du monde. »
Matsyèndrâsana porte le nom d’un grand yogin, Matsyèndra Nathâ, qui est considéré avec Goraksha, dont une posture porte aussi le nom, comme les fondateurs de l’école tantrique des nâtha-yogi à laquelle Svâtmârâma, l’auteur de la Hatha Yoga Pradipika (H.Y.P.), se réfère en tant que disciple.
La légende veut que Matsyèndra ait atteint l’état de samâdhi, l’étape ultime de compréhension en yoga, par la pratique intense de la posture qui porte son nom.
Elle fait partie des postures de torsion tout en maintenant la colonne vertébrale dans la verticale et sa pratique rassemble l’énergie périphérique dans un mouvement de spirale ascendante qui « tend à rééquilibrer nos deux énergies complémentaires, à rassembler notamment capacité et intériorité, force et sensibilité.
Au sein de notre être, elle reproduit cette spirale de vie que l’on retrouve dans tous les états de la matière, dans l’infiniment petit jusque dans l’infiniment grand (ADN, cyclone, galaxie, nébuleuse…) et nous fait participer à ce grand mouvement de l’énergie universelle. La spirale est le signe du vivant. »
Le sage Svâtmârâma écrit dans la H.Y.P. au chapitre I versets 26 et 27 :
« Cette posture de matsyèndra stimule le feu digestif, elle est l’arme puissante qui brise le cercle des maladies terribles. Sa pratique répétée confère aux hommes l’éveil de la kundalini et la stabilisation du nectar lunaire. »
D’un point de vue symbolique :
Le mot matsyèndra est composé de deux mots porteurs de sens.
Matsya, signifiant le poisson, symbolise l’eau, élément nécessaire à la vie.
« Le tantrisme assimile l’eau à Prâna, le souffle vital. »
Cet élément est aussi associé à la féminité qui est relié au nâdî lunaire qui s’enroule autour de l’axe central ( sushumnâ) en partant à gauche et qui se nomme idâ.
« La mythologie raconte que Vishnu, vénéré comme le sauveur du monde, apparut lors de sa première manifestation sous la forme d’un poisson, matsya-avatâra. »
Une autre légende concernant matsya est directement liée à la naissance du yoga.
Je vous la retranscris comme Boris Tatzky l’a lui-même reçue en Inde :
« Au commencement, le Yoga , état d’unité, était l’apanage des Dieux. Shiva, la pureté même de l’état de yoga, décide de transmettre l’initiation du Yoga à son épouse Pârvatî dans un île déserte, et là, les yeux dans les yeux, lui enseigna l’état de yoga. Tout à son union avec sa Shakti, il ne prit garde à un poisson qui se tenait à proximité dans l’eau, immobile, écoutant avec concentration l’enseignement. Puis le poisson s’éloigna vivement de l’île en direction de la terre. Shiva perçut son mouvement et pensant qu’on lui dérobait le secret du Yoga, se lança à sa poursuite. Mais le poisson, durant sa course réalisait l’enseignement qu’il avait entendu. Il arriva sur la terre en même temps que Shiva et se transforma en homme. Devant un tel prodige, Shiva lui donna sa bénédiction et lui dit : « Tu as vraiment réalisé l’état de Yoga. Le temps est venu de le transmettre aux hommes, tu seras mon messager auprès d’eux. »
Le poisson représente le féminin présent en chacun de nous, expression de l’intelligence intuitive, puissance de l’invisible, qui ne s’exprime que dans l’immobilité, la contemplation et la méditation. Comme pour le poisson qui par son extrême attention a pu recevoir le secret du yoga.
Indra, symbole du feu, est associé au masculin, à la nâdî de droite, pingalâ. Dans la mythologie indienne, il est un dieu guerrier, armé du vajra, la foudre ou l’éclair, et traversant le ciel à cheval ou sur un char d’or. On peut le comparer à Zeus ou Jupiter.
Indra représente la force mentale, indispensable pour entreprendre et poursuivre avec succès le yoga. Le masculin en nous, coté droit, est le symbole de l’action et la volonté tournées vers les réalisations dans le monde extérieur.
« L’association symbolique des deux termes composant matsyèndrâ peut se traduire par « Seigneur des poissons ».
Ces deux facultés représentent nos paires d’opposés, l’eau et le feu, le féminin et le masculin, les deux formes d’intelligence, intuitive et discursive. »
Dans la pratique :
La pratique posturale est nécessaire pour commencer par purifier notre enveloppe la plus grossière, le corps physique. Mais chaque effet de la pratique a une résonance sur l’ensemble de nos enveloppes de la plus dense à la plus subtile. Le corps physique en gagnant en souplesse et en tonicité permet parallèlement à la conscience plus ténue de s’éclairer et de s’épanouir.
Matsyèndrâsana « stimule le feu digestif » qui est lié à l’énergie de la zone ombilicale logée dans manipura cakra. La compression de l’abdomen par la jambe repliée favorise les fonctions d’assimilation et d’élimination. Les échanges sont intensifiés et l’énergie vitale s’accroît.
La posture que l’on prend en ardha (demi), c’est-à-dire du côté gauche puis du côté droit, nous guide vers une perception de nos différences, nos dissymétries et nous oblige à leur acceptation en renonçant à la « tentative chimérique et désespérante d’identification à un modèle. »
Enfin la pratique confère aux hommes « l’éveil de la kundalini et la stabilisation du nectar lunaire. »
« Kundalini représente la puissance de vie qui, une fois éveillée, accroit et aiguise l’ensemble des capacités de l’homme. Elle est cette énergie enroulée à la base de la colonne vertébrale , dans mûladhâra cakra.
L’éveil de la kundalini implique la cessation des pertes d’énergie occasionnées par les contradictions existant entre nos actes et nos pensées. »
Matsyèndrâsana permet la réconciliation des paires d’opposés qui nous habitent et « dissout tout trajet préférentiel en installant une polarité bienfaisante , puis une plus grande fluidité de l’énergie vitale au sein de l’axe vertical. »
Le nectar lunaire est pour la tradition du yoga la source de la vie. Il est le soma des dieux aussi. Si nous arrivons à stabiliser le mental et à libérer l’énergie bloquée en nous par la pratique du yoga alors ce nectar va s’écouler moins vite. La durée et la qualité de la vie en bénéficieront.
Symboliquement ou concrètement, les caractéristiques et les effets de cette grande posture de yoga nous apaisent, nous recentrent, nous redressent et ouvrent en nous des espaces pour que l’Énergie universelle, le Souffle, Prâna, circulent pleinement et librement.
Pratiquée d’un côté puis de l’autre, elle nous unifie et nous rend entier.
Cette posture de torsion nous fait porter un regard en arrière, comme un pas de côté. Elle nous permet d’éclairer symboliquement notre passé à la lumière du présent et peut-être prendre conscience du chemin parcouru.
Vous pouvez retrouver une application pratique de Matsyèndrâsana en cliquant sur ce lien :
https://www.youtube.com/channel/UCYeNpwjPnfBY20REcF6FySg
Un grand merci à Boris Tatzky pour son article dans lequel j’ai beaucoup puisé .
- Boris Tatzky, L’eau et le feu, Revue Française de Yoga n°8, F.N.E.Y.